La complexité croissante des soins et les difficultés d’accès au système de santé rendent l’autonomie du patient dans sa prise en charge de plus en plus indispensable. Pourtant, de nombreux écueils persistent pour évaluer ces capacités de compréhension, qui sont influencées par de nombreux facteurs.
La complexité des soins et leurs succès convertissent en grande partie les affections aigues - jadis rapidement mortelles - en longues suites chroniques. À cela s’ajoutent un manque croissant de ressources médicales et la difficulté d’accès, parfois même aggravée par l’arrivée massive du numérique et des conseils sur internet. Ces évolutions demandent de plus en plus de compréhension et d’autonomie de prise en charge chez les patients.
Hélas, la méconnaissance et le manque d’éducation suffisante d’une grande partie de la population rendent difficile cette plus grande capacité d’autonomie exigée par les nouveaux plans de soins. Avec des taux allant de 12% aux États-Unis à 53% dans les pays européens au cours des 20 dernières années, l’éducation et le niveau scolaire insuffisants de la population brident la prise en charge.
Cette mauvaise autonomie est associée à de mauvais résultats en matière de santé, notamment à des difficultés dans la prise de décision et à une mauvaise utilisation des ressources.
Les médecins évaluent souvent assez mal l'aptitude de leurs patients à comprendre leurs problèmes de santé et se prendre en charge. Depuis 2012, l’initiative américaine Choosing Wisely a beaucoup travaillé sur cette dimension éducationnelle et sur l'évitement des soins inutiles, notamment par le développement et la diffusion d'outils standardisés sur la prise de décision partagée pour aider les patients à s'impliquer davantage dans leurs décisions de soins de santé.
Bien sûr, le niveau d’autonomie et de compréhension n'est pas un état binaire : il se répartit sur un continuum. Les ressources éducatives doivent être à la fois flexibles et adaptables pour répondre aux besoins des patients là où ils se trouvent, plutôt que là où nous supposons qu'ils devraient se trouver.
Okainec et Roy (2025) nous proposent une synthèse des acquis et perspectives en la matière.
Dans un article récent publié dans le BMJ Quality & Safety, Muscat et al (2024) mettent en lumière le rôle complexe du niveau de vie sur la prise de décision des patients. Les auteurs révèlent comment un faible niveau de vie peut conduire les patients à choisir des soins de faible valeur et à moins s'impliquer dans la prise de décision.
La conscience propre du patient et du médecin sur la capacité réelle de compréhension du patient fait souvent l’objet d’un biais de surestimation. Ainsi, dans l’étude de Muscat, près de 46% des personnes ayant une perte de mémoire objectivée par des tests, déclare pourtant être "extrêmement" confiante lorsqu'elles remplissent des formulaires médicaux. Un patient diagnostiqué objectivement en capacité limitée de compréhension et autonomie a pourtant besoin d'un soutien plus intensif, avec des instructions simplifiées et une aide supplémentaire pour les formalités administratives.
L'utilisation d'une approche combinée peut aider les prestataires à créer des interventions personnalisées.
La notion de "conflit décisionnel" du patient correspond à "un état d'incertitude quant à la ligne de conduite à adopter devant un conseil ou une situation de décision médicale".
Les caractéristiques cliniques du conflit décisionnel comprennent l'hésitation, le retard dans la prise de décision et l'incapacité à choisir. Le conflit décisionnel est plus présent lorsque le patient est confronté à la vie ou à la mort ou à des décisions difficiles.
L'évaluation par le médecin de ce conflit décisionnel et de la qualité de sa résolution par le patient est importante pour l’efficacité de tout le plan de soin à venir, particulièrement pour le moyen et long terme de la vie avec des affections chronicisées.
Il est également important de considérer les implications des résultats en termes d'équité. La limitation de compréhension et d’autonomie ne renvoient pas seulement à un trait personnel mais est aussi un produit de déterminants sociaux plus larges.
Les personnes ayant un niveau de connaissance limité peuvent appartenir à des communautés victimes d'inégalités, où des facteurs systémiques tels que le statut socio-économique, les barrières linguistiques et le manque d'accès à une éducation de qualité exacerbent le faible niveau de connaissance.
De ce fait, la promotion d'interventions ciblant cette autonomie ne doit pas seulement viser à améliorer les résultats des soins de santé, mais aussi à faire progresser l'équité.
Plusieurs outils assez simples (questionnaires et test rapides, encouragement à poser des questions, utilisation d’un langage simple, demande systématique de reformulation, aide à la décision sous forme imagée) sont mis à disposition des médecins pour mieux évaluer l’autonomie et le niveau de conflit décisionnel de leur patient, et in fine mieux partager les décisions médicales à prendre avec tout le cortège de conséquences qu’elles supposent.
La cancérologie a été un terrain propice à la mise au point de plusieurs de ces outils, mais ils doivent maintenant entrer dans la pratique courante plus large, particulièrement dans ce contexte général où les maladies aigues sont transformées en maladies chroniques, induisant une plus grande implication du patient dans ses modes de vie.
Pour aller plus loin
Muscat DM, Cvejic E, Smith J, et al - Equity in Choosing Wisely and beyond : the effect of health literacy on healthcare decision-making and methods to support conversations about overuse - BMJ Quality & Safety Published Online First : 22 August 2024. doi :10.1136/bmjqs-2024-017411.
Okrainec K, Roy M - Choosing "Less" Wisely as a marker of decisional conflict - BMJ Quality & Safety Published Online First : 27 January 2025. doi : 10.1136/bmjqs-2024-017933